The Britannic Organ - Volume III

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MUSIQUE EN HAUTE MER

Orgues à bord des navires

Le roman de Jules Verne (1869/70), Vingt mille lieues sous les mers, fait référence à un certain capitaine Nemo, jouant de l'orgue à bord de son sous-marin, le Nautilus. L'évolution de la fiction de Jules Verne en une réalité se fit petit à petit : dans un premier temps, des harmoniums et pianos à queue étaient embarqués sur des paquebots, tels que ceux de la Cunard line, le Campania et le Lucania (1893). Le Campania était même équipé d'un faux système de tuyaux, afin que son harmonium ressemble à un grand orgue, une pratique largement répandue à cette époque.

Au cours des XIXe et XXesiècles, une réelle concurrence se développa pour proposer le meilleur divertissement musical à bord, en équipant les grands paquebots de luxe du début du XXesiècle avec ce qu'il y a de meilleur et de plus récent. Les pianos mécaniques devinrent assez courants. Suite à la catastrophe du Titanic, l'approvisionnement de ce type d'instrument s'est même transformé en une sorte de divertissement. Dans leur catalogue c1913/14, Welte présente et illustre plusieurs installations de piano et d'orgue, à bord de yachts et de paquebots, y-compris leur Welte-Mignon, orchestrions et Philharmonie. Leur filiale à New York a également installé un orchestrion à bord du Pocahontas, un bateau fluvial américain. Tous les orchestrions souhaitent détenir le titre d'« orgue du Titanic ». Puisqu'ils survécurent, la rumeur, selon laquelle un orgue aurait été livré trop tard pour être installé à bord, devient plausible.

Le plus grand orgue de paquebot jamais construit fut l'orgue du Britannic, qui se trouve aujourd'hui dans le musée des automates à musique de Seewen. Il s'agissait d'une Philharmonie de Welte, conçue pour ce paquebot de la famille du Titanic, même si l'instrument n'a jamais voyagé à bord de celui-ci. D'autres, comme dans certains vaisseaux de la White Star Line ou de Lloyds, ou encore à bord de yachts privés, tel que le Niagara, un yacht à vapeur de Howard Gould, équipé d'une Philharmonie, ont été chroniqués. La compagnie Aeolian était également impliquée dans la construction d'orgues pour paquebots : à l'origine il était prévu que le Britannic soit équipé d'un instrument Aeolian. Toutefois, tout comme pour la Philharmonie du Titanic, ce ne fut pas le cas.

Considérations culturelles maritimes

Certains recoins spécifiques de la créativité humaine sont dévoués à nos luttes permanentes contre les quatre éléments : l'eau, l'air, le feu et la terre. Ce fut le thème de nombreuses œuvres de littérature, peinture, sculpture, photographiques et musicales. Les grands paquebots à vapeur du début du XXe siècle regroupent, d'une façon ou d'une autre, ces quatre éléments. À la même époque, au cours du XIXe et au début du XXe siècle, une nouvelle esthétique culturelle, exprimée sous forme d'un romantisme « dynamique », envahit le monde occidental : les peintres, poètes, romanciers et compositeurs exprimèrent, dans toute forme artistique, des histoires dramatiques sur les marins, explorateurs, aventuriers et héros. Ils sont à l'origine de cet esprit du siècle, qui excellait dans l'expression de concepts tels que les conquêtes, les bouleversements, les désirs et les aspirations. On note aussi la préoccupation permanente avec la mort, surtout dans le domaine musical, avec la prolifération de requiems, vers l'époque de Berlioz, Fauré et Brahms. Le style gothique fut revisité pour devenir une tendance dans les romans, avec la présence de chevaliers, de guerriers, de dragons et de demoiselles en détresse. C'était un courant gothique sombre et lugubre du XIXe siècle. Dans le domaine de la littérature, Ruskin, Dickens et Conan Doyle faisaient partie des meilleurs représentants.De manière semblable, il y avait un thème central pour les orgues et les orchestres du style « orage », à travers l'histoire du Titanic et des notions de sauvetage physique ou religieux : la souffrance humaine, les peurs naturelles et une fascination persistante inspirant les innombrables histoires d'actes de bravoure et les grandes œuvres d'art dédiées à la lutte de l'homme contre les éléments. Le vent, la chaleur ou le froid, le calme ou la tempête, ainsi que l'eau, la glace ou la vapeur, sont à l'origine de dangers spécifiques, impliquant parfois des forces insurmontables provoquant des catastrophes inévitables, en particulier les naufrages.

En dernier recours, on fit appel à Dieu. Mais la puissance et l'animosité du vent a cédé sa place à une nouvelle ère de forces naturelles encore plus puissantes, le feu et la vapeur, tous deux exploités par des humains inventifs, dans le but d'augmenter leur propre confort et la sécurité, surtout en mer.

Ces CD contiennent la musique qui correspond parfaitement à cet esprit d'époque, avec ses changements d'attitude, de technologie et de mobilité. Ils évoquent les réactions humaines face à tous les aspects des élans d'animosité de la planète envers ses créatures vivantes, mais, en particulier, le vent et les vagues. Les histoires du Titanic et du Britannic représentent une lutte prométhéenne entre pure danger et confort absolu, lors du transport de personnes entre les différents continents, parfois dans les conditions les plus luxueuses.

La présence d'un orgue à bord d'un paquebot relève uniquement de l'ordre du divertissement et n'a rien à voir avec la navigation ou la sécurité, il s'agit simplement d'une distraction destinée à attirer l'attention sur autre chose que les peurs et les fantômes des océans sombres et dangereux, ou des côtes rocheuses et périlleuses. Le fait d'avoir un orgue à bord était également un symbole de pouvoir, de prestige et de richesse, car les passagers pouvaient ainsi écouter de la musique, ou même danser, dans un décor somptueux, éclairé par une électricité générée grâce à la vapeur. Pendant ce temps, les icebergs et autres menaces attendaient à l'extérieur, dans une eau froide et sombre. La musique pouvait devenir religieuse, lorsque l'on sentait avoir besoin de la présence de Dieu, en particulier quand un danger guettait, ou qu'une catastrophe était réellement en train de se produire.

Ces CD contiennent donc un mélange de musique joyeuse et solennelle, avec des hymnes et des styles dansants et divertissants qui tournent autour des thèmes de la vie et la mort à bord des navires. On suppose que, s'il n'avait pas été victime de la guerre, le Britannic aurait été en service au moins jusqu'aux années 1930, voir même au-delà. Cette sélection comprend donc de la musique classique, des morceaux plus légers, de la musique de danse, de cinéma, ainsi que d'hymnes marins. Ainsi, elle propose tous les goûts musicaux et styles possibles de musique maritime, ayant pu être joués et entendus à bord du Britannic, s'il avait traversé les océans en tant que paquebot de ligne.

CD 1

Musique du capitaine Nemo

Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Organiste : David Rumsey

Piste 1 Toccata et fugue en ré mineur (BWV 565)

Cette œuvre en soi n'a pas besoin d'être présentée : il s'agit probablement de l'œuvre de Bach la plus connue pour orgue, même si elle est suffisamment atypique, par rapport au style habituel du compositeur, pour soulever des questions concernant son auteur réel. Elle se trouve, toutefois, en tête de liste sur tout CD de musique d'orgue en mer, pour la simple et bonne raison qu'elle est indissociable de l'orgue présent à bord du sous-marin du capitaine Nemo, le Nautilus. La musique évolue de l'image du tonnerre et de la foudre de l'ouverture de la toccate, vers la fugue inhabituelle, avec ce que certains décrivent comme un thème dérivé de violon et des passages d'écho uniques, avant de revenir au tonner et à la foudre du début du morceau. Par le biais d'une relation d'apparence symbiotique, cette œuvre dramatique, choisie pour sa popularité, devient encore plus célèbre, grâce aux adaptations cinématographiques du roman de Jules Verne, pour lesquelles elle a bien sûr été choisie.

Culture du Titanic

Plus près de toi, mon Dieu (en allemand : Näher mein Gott zu Dir) - hymne composé par Sarah Fuller Flower Adams (1805-48). Trois des nombreux airs associés à cet hymne :

Lowell Mason (1792-1872)

Piste 2 Bethany - l'hymne traditionnel américain (1 couplet)

Arthur S. Sullivan (1842-1900)

Piste 3 Propior Deo - un air fréquemment associé à cet hymne en Angleterre (1 couplet)

John Bacchus Dykes (1823-1876)

Piste 4 Horbury - l'air le plus utilisé partout dans le monde, à l'époque du naufrage du Titanic et celui sur lequel est fondé l'œuvre suivante de Bonnet. (1 couplet)

Organiste des pistes 2-4 : David Rumsey

En 1904, bien avant le naufrage du Titanic, on raconte que cet hymne avait été chanté par des femmes à bord d'un petit canot s'échappant du naufrage du Valencia, au large des côtes du Canada. L'air qu'elles ont chanté n'a pas été enregistré. Il semblerait que le récit de cette histoire laisse présager la catastrophe du Titanic et qu'elles auraient même été confondues. Les compositeurs ont utilisé une variété de ces airs, dans les œuvres musicales liées au Titanic.

Il n'est pas clair si aucun, un ou plusieurs hymnes ont été joués par le groupe présent sur le Titanic, mais si l'un d'entre eux a été joué, alors il est presque certain qu'il s'agissait de Horbury - comme c'était le cas pour l'œuvre de Bonnet, présentée dans la prochaine piste de ce CD. L'industrie cinématographique n'en a retenu que deux : les américains avaient tendance à préférer leur propre hymne (Bethany) et les britanniques le leur (Horbury). Hollywood est donc peut-être responsable de l'erreur de mélodie associée à cette histoire par le grand public.

Joseph Bonnet (1884-1944)

Organiste : Joseph Bonnet

Piste 5 In Memoriam Titanic (En mémoire des héros du Titanic) rouleau Welte 1611 (master)

La première œuvre significative commémorant le naufrage du Titanic utilise l'air Horbury. Le choix de Joseph Bonnet est intéressant, il a dû avoir besoin de faire des recherches sur la question de l'air à utiliser, puisque plusieurs étaient déjà associés à cet hymne. La culture britannique des hymnes ne faisait apparemment pas partie de l'éducation, ni du contexte religieux de Bonnet. In Memoriam Titanic fut écris tout de suite après la catastrophe, le 12 avril 1912, puis enregistré par le compositeur vers le 6 février 1913, dans les locaux de Welte, à Fribourg.

Il s'agit du seul enregistrement du compositeur jouant lui-même cette œuvre. Celle-ci évolue telle une tragédie grecque, avec tous ses symboles, son sérieux et sa détermination, non loin d'un requiem à sa façon. Un tremblant presque constant renforce le sentiment de pathos grec, et les solos mélancolique, lors des silences, comme celui de la clarinette envoûtante, ou les passages « classiques » de style récitatif, contribuent tous à cette ambiance de tragédie antique. La présence d'une clé mineure en début et fin de morceau vient, en effet, appuyer cette idée.

Sur et sous l'eau

Claude Debussy (1862-1918)

Attribué à la prestation de l'organiste Bernard Ten Cate (1879- après 1930)

Piste 6 La Cathédrale engloutie rouleau Welte 1995 (master)

Une fantaisie (ou non ?) merveilleusement romantique est présente, dans la notion de la cité engloutie de l'Atlantide. Inspirés de cette histoire, des concepts d'immeubles et de rues submergées virent le jour, avec des maisons et même une cathédrale sous l'eau. L'œuvre évocatrice de Debussy, prévue à l'origine pour piano, utilise des références à des musiques médiévales pour aider à recréer les images sonores d'une ère disparue depuis fort longtemps.

Il n'est pas clairement défini, si Ten Cate a d'abord enregistré sa musique sur rouleaux pour le piano, avant de l'adapter pour les orgues, ou non. Le transfert de rouleaux pour piano aux orgues était commun au début de la Philharmonie de Welte, mais moins à l'époque où Ten Cate se trouvait à Fribourg, vers les années 1924-1929. Le résultat final a été réalisé avec tant de précision, que cela ressemble d'avantage à un « rouleau dessiné » (obtenu en crayonnant les notes avant de les faire perforer, puis copier à grande échelle). Quel que soit le tempo, il s'agit d'un arrangement établi pour se conformer aux capacités de la Philharmonie de Welte. L'utilisation des silences de la« Harpe »contribue en partie à l'esprit de cette prestation de Philharmonie avec celui de ses origines en tant qu'œuvre pour piano. Ce rouleau est paru en 1925-26.

Frédéric François Chopin (1810-1849)

Organiste : Marco Enrico Bossi (1861-1925)

Piste 7 Trauermarsch (Marche funèbre au piano sonate Opus 35 en si bémol mineur) rouleau Welte 1006 (master)

Marco Enrico Bossi fut le premier organiste, reconnu au niveau international, à faire des enregistrements pour Welte et le seul italien à l'avoir jamais fait. Le lien s'est probablement créé lors de l'exposition de Turin, en novembre 1911, où la compagnie était présente : le 31 octobre, le fils de Bossi, un organiste formé en Allemagne, mena un concert orchestral, avec son père comme soliste. C'était le dernier jour de l'exposition où était présentée la Philharmonie. Les rouleaux de Bossi parurent en 1912-1914, avec un de plus en 1921, 1922 et 1925. Il se peut que celui de 1925 fût commémoratif.

C'est une étrange coïncidence qu'il existe un arrangement de la célèbre marche funèbre de Chopin, enregistrée par Bossi et qui est maintenant sorti sur un CD dédié aux paquebots, car il est justement décédé en traversant l'Atlantique et a été inhumé en mer (le 20 février 1925). Même s'il a succombé à la maladie et non pas au cours d'une mésaventure, cela nous rappelle que les voyages en mer impliquaient souvent des problèmes de maladie plus graves qu'un simple mal de mer, pouvant parfois entraîner la mort en haute mer. À l'époque, les tournées de concerts représentaient pour beaucoup d'organistes (entre autre Guilmant, Best, Eddy et Lemare) des voyages sur des paquebots de ligne plutôt que par avion, et il valait mieux partir en bonne santé pour entamer un voyage intercontinental, ce qui est d'ailleurs toujours vrai aujourd'hui. Si le Titanic avait eu une Philharmonie, comme ce qui avait peut-être été prévu, ou si le Britannic avait voyagé en transportant des passagers, plutôt que des soldats, alors ces organistes auraient pu donner des récitals à bord. L'enregistrement original date du 18 juillet 1912, ou peu après.

Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)

Organiste : Harry Goss-Custard (1871-1964)

Piste 8 Meerestille und glückliche Fahrt (Mer calme et voyage prospère) rouleau Welte 1476 (master)

Cette transcription d'une œuvre orchestrale rappelle non seulement le désir d'une mer calme, mais aussi que les voyages en mer pouvaient également avoir une orientation commerciale, ou professionnelle, et donc être synonyme de richesse. Le travail de Mendelssohn était fondé sur un poème du même nom, écris par le grand écrivain romantique allemand, Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832), présenté pour la première fois en 1832. Une cantate de Beethoven s'en inspire également. Les expériences de James Rumsey (1743-1792) se déroulèrent néanmoins aux États-Unis, avant l'époque des bateaux à vapeur, quand le fait d'être encalminé dans un grand voilier pouvait être presque aussi grave que toute autre mésaventure. Le rouleau de Welte avait probablement été enregistré dès le 20 février 1913, mais n'est sorti qu'en 1927.

Franz Schubert (1797-1828)

Organiste : Franz Philipp (1890-1972)

Piste 9 Meeresstille (Mer calme) rouleau Welte 512 (master)

L'idée d'une traversée par une mer calme a toujours été le souhait de la plupart des passagers, à l'exception de quelques navigateurs du « mauvais temps » qui partagent leur quête du danger et des sensations fortes avec les varappeurs des montagnes suisses et autres aventuriers du même genre. Au XIXe siècle, lorsque les navires manquaient de stabilisateurs - encore les grands voiliers - ils pouvaient se retrouver encalminés dans des mers déchaînées, s'embourber entre les montagnes et vallées, où l'eau vient s'écraser avec le vent. Un mauvais voyage pouvait se transformer en un cauchemar absolu, de stagnation et de mal de mer insupportable, sans parler de l'angoisse de survie, durant des jours, voire des semaines. Cette ère possédait elle aussi ses propres formes d'expression, dans différents domaines artistiques, y compris la musique, ou par l'invocation d'un talisman, par ex., en écrivant de la musique s'assimilant à une prière de délivrance, tout comme ce petit arrangement. L'enregistrement original date probablement d'environ 1921-22, même s'il est possible qu'il fut déjà réalisé dès 1912.

Richard Wagner (1813-1883)

Rouleau dessiné à la main par Franz Xaver Franz

Piste 10 Sélections de Der Fliegender Holländer (Le Hollandais volant)rouleau Welte 645 (master)

Ici, nous avons l'une des grandes musiques archétypiques des symboles de Wagner, un maître dans l'art, qui écrivit cet opéra entier en s'inspirant de l'océan sans cesse agité et de la fatigue proportionnelle des marins. La transcription de ce morceau sur des rouleaux perforés a été réalisée par Franz Xaver Franz, le musicien de l'orchestre de Fribourg, employé par Welte, qui connaissait non seulement son répertoire et savait le jouer, mais était aussi capable de le faire sonner comme une prestation « live » des plus convaincantes, lorsqu'il le traçait au crayon sur un cylindre piqué. Après avoir réalisé cette étape, des trous étaient perforés dans le papier, qui, après avoir été copié, rejouait le rôle de mécanisme pneumatique, en jouant des notes, en déplaçant des silences et en recréant toutes les nuances musicales, telles que les crescendos et les diminuendo. Franz se démarque par sa maîtrise de cet artisanat inhabituel, qui requiert une patience infinie et un grand souci du détail, mais avant tout une connaissance directe du genre musical et de ses paradigmes. L'enregistrement original fut diffusé pour la première fois en 1921.

CD 2

Divertissement à bord

À la fin du XIXe siècle, les grandes compagnies de transport maritime de passagers s'étaient engagées sur un champ de bataille commercial grandissant pour fidéliser leur clientèle. La vapeur plutôt que la voile et des bons résultats en matière de sécurité étaient un bon début. De plus, plusieurs jours, voire semaines, à bord d'un navire nécessitaient de l'alimentation, mais aussi du confort et du divertissement pour les passagers. Cela allait du strict minimum au luxe abondant, pour les passagers de première classe. Plus la croisière était onéreuse, plus le dîner, même possible à la table du capitaine, le confort, le divertissement et les privilèges à bord étaient de qualité (y compris le sauvetage, si le Titanic était un moyen de comparaison). La musique faisait partie des distractions principales, avec ses grands pianos à queue, ses pianos droits, ses pianos mécaniques, ses harmoniums, ses orchestrions et même des groupes ou petits orchestres. La présence d'une Philharmonie était considérée comme étant ce qu'il y avait de mieux, au niveau prestige et divertissement, et, dans le cas du Britannic, était prévu d'être installé juste en face du grand escalier de la première classe. Il s'agissait d'un objet de sculpture et de décoration de luxe en lui-même, pratiquement identique dans les trois paquebots de la White Star Line, l'Olympic, le Titanic et le Britannic.

Le grand escalier de la première classe dans l'Olympic

Pour le divertissement des passagers de première classe

Théodore Dubois (1837-1924)

Organiste : David Rumsey

Piste 1 Toccate en sol majeur

La génération des virtuoses de l'orgue en mer jouait toutes sortes de musiques : de la musique religieuse et profane, y compris les transcriptions de classiques populaires, de sélections d'opéra et de musique au piano. Certains improvisaient également. Le répertoire français de la fin du XIXe et du début du XXe siècle se trouvait au cœur du type de divertissement à cette époque, tout en restant de la musique d'orgue originale. Des questions ont souvent été posées au sujet de la compatibilité des toccatas de ce type, dans un contexte liturgique, et encore davantage sur sa valeur intrinsèque, en tant que répertoire original d'orgue, avec une pédale si superficielle et un style si pianistique. Cependant, personne ne s'est jamais posé de question quant à sa compatibilité avec le divertissement. Il aurait sûrement s'agit d'un choix judicieux pour jouer à des passagers dont les goûts en musique auraient été très variés.

Heinrich Hofmann (1842-1902)

Organiste : Edwin Lemare (1865-1934)

Piste 2 Barcarole Opus 46 rouleau Welte 1233 (une piste tirée d'un master qui en contient trois)

La barcarolle était une forme musicale indissociable des voyages en mer, son intention étant d'imiter musicalement le doux balancement d'un (petit ?) bateau dans une eau (relativement calme ?). Certainement une forme de musique non violente comparée aux styles « orages » et « batailles ».

Lemare était spécialiste dans l'arrangement et la réalisation de transcriptions, en fouillant lui-même avec plaisir, au sein d'une grande variété de styles, du répertoire d'orgue standard à des genres plus légers de divertissement. La musique représentée fait partie d'un répertoire bien connu par l'ensemble du spectre des goûts musicaux de l'époque : une des nombreuses barcarolles, certaines plus connues et d'autres davantage tombées dans l'oubli. L'enregistrement original date du 8 mars 1913 environ.

Nicolas Jacques Lemmens (1823-1881)

Organiste : Harry Goss-Custard (1871-1964)

Piste 3 Grande Fantaisie en Mi mineur (« L'orage »)rouleau Welte 1121 (master et copie utilisés)

Un orage en mer à bord du Britannic ? Il pouvait s'agir de deux choses : un phénomène naturel ou un divertissement à bord. L'orage musical était un style descriptif, une forme de musique romantique très intéressante pour le XIXe siècle. D'une certaine façon elle découle d'une autre forme descriptive : celle de l'orgue « bataille » des siècles précédents. Liée à la culture pastorale et autres cultures « naturelles » post-Rousseau, les orages étaient également connus sous d'autres noms, tel que « Storm » en anglais (qui évoque l'utilisation d'un accessoire créant des battements graves, imitant le bruit de l'orage). Les orages existaient autant sous forme orchestrale que pour orgue. Il y a peu de doutes sur le fait que ce morceau fut joué à bord, dans la mesure où un orgue était installé et qu'il se disait partout que de la musique profane était jouée, en particulier dans les halls de concert. Un des artistes réalisant des enregistrements pour Welte était l'organiste suisse, Franz Joseph Breitenbach, de la cathédrale de Lucerne, qui, pour un cas spécifique, avait même adapté le genre à une manifestation helvétique particulière. La symphonie « Alpine » de Mahler en est un équivalent orchestral.

L' « orage » à l'orgue le plus célèbre est probablement celui du compositeur belge, Jacques-Nicolas [Jaak Nikolaas] Lemmens. Il commence et se termine de manière pacifique, comme le font les orages. Avec les grappes de sons voisins et les passages de gammes ininterrompues, on pénètre métaphoriquement dans l'œil de l'orage musical. Même une fois calmé, on entend encore au loin la faible résonance des grondements qui forment le bouquet final. Il s'agissait d'un élément de concert très prisé qui attirait les foules à des évènements, tels que les concerts gratuits du dimanche après-midi, dans des halls culturels britanniques, vers le milieu du XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle. Il est encore parfois possible de l'entendre aujourd'hui. L'interprétation de Goss-Custard est ici primordiale, puisqu'il est né et a été élevé au sein de cette tradition. Il existe aussi un ancien enregistrement électro-acoustique« 78 » de lui jouant ce morceau. L'enregistrement de ce rouleau se fit beaucoup plus tôt, vers le 20 février 1913.

William Wolstenholme (1865-1931)

Organiste : William Wolstenholme

Piste 4 Barcarolle en Do(Opus 13 N°6) rouleau Welte 1577 (master)

Un autre morceau de bateau balancier, dont l'approche est intéressante, car les rythmes de l'eau s'écrasant contre la paroi d'un petit canot ou d'un bateau plus léger, sont légèrement irréguliers, créant ainsi un mouvement aléatoire. L'organiste et compositeur aveugle de nationalité britannique, William Wolstenholme, fut l'un des nombreux compositeurs à se lancer dans des morceaux de ce genre. Il s'agit d'un enregistrement rare sa propre performance d'une véritable merveille en son genre. La session originale d'enregistrement commença le 26 septembre 1913.

Antonín Dvoák (1841-1904)

Piste 5 Symphonie Aus der neuen Welt (Symphonie « Du Nouveau Monde ») - 1er mouvement rouleau Welte 957 (master)

Les voies principales de navigation représentaient également des liens commerciaux et culturels, sans parler de leur rôle au sein des relations familiales, alors que l'Europe était en pleine émigration. Au XIXe siècle, la plupart souhaitaient rejoindre l'Amérique du nord, l'Afrique du sud ou l'Australie, surtout étant donné que certaines parties de l'Europe se trouvaient dans la pauvreté, tandis que l'Amérique du Nord bâtissait une réputation de créateur de richesse. Mais, encore une fois, l'océan avait son mot à dire. Les volumes d'eau, à cette échelle, représentaient toujours un élément dangereux à combattre. Environ une semaine, en fonction du voyage par voile ou par vapeur, était nécessaire pour traverser l'Atlantique, de l'Europe de l'ouest à l'Afrique du sud, ou à l'Amérique de l'est. Il était aussi possible, dans une certaine mesure, de voyager sur l'océan Indien ou Pacifique, mais les semaines pouvaient alors facilement se transformer en mois.

Les Etats-Unis devinrent donc la destination première de la plupart des personnes à la recherche de richesse ou d'un meilleur mode de vie. La vision générale était que les Etats-Unis offraient de l'espoir aux personnes ayant payé, réussi et survécu au voyage. Dvoák est parvenu exprimer ce sentiment, de regarder au loin vers l'ouest, travers un océan toujours agité, avec espoir et confiance présents dans sa symphonie, devenue célèbre à juste titre. Un de ses thèmes principaux ressemble, peut-être volontairement à l'un de ceux du « Vaisseau fantôme  » de Wagner.

Cet enregistrement fut réalisé à partir d'un rouleau « dessiné », ou fait à la main. Malheureusement, son créateur n'est pas identifié, toutefois il existe de nombreuses raisons de penser qu'il s'agit d'une autre œuvre de maître réalisée par Franz Xaver Franz. Les enregistrements originaux sont sortis vers 1922, mais ont dû être réalisés avant, car Franz décéda la même année.

Musique de danse, lumière à bord et un style d'orgue comme au cinéma

Traditionnel

Organiste : Paul Mania (1882-1938)

Piste 6 Schifferlied auf der Wolga (Les bateliers de la Volga)rouleau Welte 1920 (master)

L'arrangement a été attribué à H. Cady. L'enregistrement original du rouleau a probablement été réalisé en 1923-24.

Compositeur : J. Lanner

Prestation originale par le pianiste Artur Schnabel

Piste 7 Altwienervalzer rouleau Welte 384 (master)

L'original de ce morceau était un enregistrement au piano. Il fut ensuite adapté en un rouleau pour orgue, avant de ressortir vers 1919.

Un hommage à la prestation de « Hans Häuser »

E. Malderen

Piste 8 Le Tango du Rêve (valse -tango) rouleau Welte 2067 (master)

W. Blaufuchs

Piste 9 My Isle of Golden dreams (valse) rouleau Welte 2067 (master)

Silvio Hein

Piste 10 Pawnee (two step intermezzo) rouleau Welte 2067 (master)

Osman Pérez Freire

Piste 11 Ting-a-Ling rouleau Welte 2082 (master)

Osman Pérez Freire

Piste 12 Ay-Ay-Ay, Serenata Criolla (sérénade créole) rouleau Welte 2080 (master)

Hans Häuser est apparemment un pseudonyme utilisé par Hans Haass, un pianiste directeur des enregistrements pour Welte, à partir de 1925. Les preuves qu'il utilisait ce pseudonyme sont maigres, il s'agit avant tout d'une tradition orale de longue date, perpétuée par les aficionados de Welte. Toutefois, l'utilisation de pseudonymes était assez courant, en particulier, lorsqu'un artiste dépassait les frontières artistiques, par exemple si un célèbre organiste « travaillait au noir » dans des cinémas, ou qu'il jouait des morceaux sortant de son répertoire habituel « sérieux ». Comme le montrent ces cinq pistes, « Häuser » était un musicien très performant dans ce style particulier de divertissement musical.

Deux hymnes de la mer

La sélection musicale pour un grand paquebot de ligne peut sembler être au complet avec les titres précédents, mais ce n'est pas encore le cas. La musique en mer comprenait aussi des hymnes, qui n'étaient pas uniquement destinés à un usage pour les services religieux à bord : ils avaient également une utilité en tant que « musique religieuse populaire ». À l'exception de « Plus près de toi, mon Dieu » (voir CD 1), un grand nombre d'hymnes britanniques bien connus sont associés à la traversée des océans :l'hymne « Sicilian mariners » (également utilisé comme chant de Noël, en Europe : Oh du fröhliche), « O God, our help in Ages past », « Eternal Father » avec son ritornello, « for those in peril, on the sea » et « Abide with me ». Les deux derniers sont présentés ici, venant ajouter une touche finale à cette « image musicale marine ».

John Bacchus Dykes (1823-1876)

Organiste : David Rumsey

Piste 13 Eternal Father strong to save (3 couplets)

Le texte de cet hymne de « navigation en mer», écrit sous la forme d'un poème de William Whiting, en 1800, pour un étudiant qui s'apprêtait à prendre le large pour l'Amérique du Nord, reflète l'esprit des remarques précédentes au sujet de l'omniprésence de la peur des naufrages et de la noyade, présente lors de chaque voyage en mer. Chaque ligne se termine par « pour ceux en péril, sur la mer ». Cette peur était également partagée par les personnes restées à terre, comme la famille, les amis, les femmes et les enfants. Cet arrangement musical fut composé par J. B. Dykes et date de 1861. Il baptisa cet air Melita, d'après l'île (qui porte aujourd'hui le nom de Malte) que L'Apôtre Paul avait rejoint, suite au naufrage de son bateau.

William Henry Monk (1823-1889)

Organiste : Goss-Custard (1871-1964)

Piste 14 Abide with me (Reste avec nous) (4 couplets) rouleau Welte 1154 (master)

La préservation d'environ 25 hymnes allemands et anglais, au sein de la collection de rouleaux de musique de Seewen,est un détail surprenant. Le fait que la chorale de Berlin et les traditions de l'hymne britannique, datant de 1912, avaient également été enregistrés pour la postérité peut sembler un peu bizarre au regard d'un monde moderne et plus laïc. Cependant, le pouvoir symbolique de l'hymnodie, des traditions de chant de l'hymne de la communauté, des ventes potentielles et du côté purement pratique encourageait Welte à représenter cette précieuse niche musicale, dans leurs catalogues. Goss-Custard partage ici un souvenir très intéressant, et même des révélations, sur comment quatre couplets de cette hymne ont peut-être été joués en Angleterre, avant la première guerre mondiale. Sa session d'enregistrement originale commença le 20 février 1913. Le texte de Abide with me était de Henry F. Lyte, en 1847, et la musique (la mélodie nommée Eventide) de W. H. Monk, en 1861.

David Rumsey